Frère Hugonis (Jean-Pierre HUGON)

Frère Hugonis (Jean-Pierre HUGON)

1828 – 03.08.1901

Le Premier Directeur du Lycée Saint-Joseph 1870-1877

Frère Hugonis est né au coeur de l’Auvergne, en 1828. Il en a la rudesse et la générosité de ses habitants. La terre est souvent difficile à travailler et exige beaucoup de courage et de ténacité. Ces conditions difficiles de vie ont marqué la population.

En 1845, à 17 ans, le jeune homme, Jean-Pierre Hugon, entre au noviciat et devient Frère Hugonis. Le noviciat est cette période qui dure un ou deux ans, actuellement, et pendant laquelle on se forme à la vie de prière et de communauté des Frères.

Sans doute le jeune Frère Hugonis a eu du mal à se plier aux exigences de la Communauté dans laquelle il demande son admission, puisque, un jour, le Frère Directeur le renvoie comme inapte. Et déjà apparait la détermination de celui qui parcourra, plus tard l’empire ottoman d’Erzurum à la Haute Egypte: il obéit au Frère Directeur du noviciat et sort avec ses affaires. Mais au lieu de s’en aller, il reste devant la porte, sans doute en larmes, et une demi-journée. Le Frère Directeur, certainement touché par cette détermination, réadmet le jeune homme qui promet de changer d’attitude, ce qu’il fit certainement puisqu’il est devenu le grand supérieur que nous allons voir.

Mais il restait un fond de caractère qui a continue à se manifester et que l’intéresse lui-même connaissait bien puisque, par la suite, il confessera : “Je suis un peu comme les châtaignes d’Auvergne. On ne doit pas s’arrêter à l’écorce rude et dure; il faut pénétrer à l’intime”.

Frère Hugonis commence l’enseignement en France. Il se trouve à Angers, lorsque, en 1858, il vient en Turquie avec son directeur, le frère Vauthier, le nouveau frère Visiteur de Constantinople. (Les européens ne disaient pas encore İstanbul)

Pour mieux comprendre, un petit mot sur le mode de fonctionnement des Frères. Actuellement, notre Maison Généralice où réside le Frère Supérieur général, se situe à Rome, mais en dehors du Vatican. Le Frère Supérieur d’aujourd’hui est entouré de six Conseillers.

En 1858, la Maison généralice était à Paris et le Frère Supérieur était Frère Philippe qui a commencé son mandat en 1838 et le terminera à sa mort, en 1874, soit après 36 ans de supériorat. C’est lui qui a envoyé les premiers Frères à İzmir et à İstanbul en 1841. Frère Philippe était entouré de douze Frères Assistants, dont les pouvoirs sur les régions étaient importants.

Nommé Visiteur, Frère Vauthier est en même temps directeur. Il y a alors, trois établissements, à İstanbul, dont la situation financière est difficile:

1. l’école gratuite Saint-Jean-Baptiste (l’actuel Taksim Atatürk Lisesi)
2. l’école gratuite Saint-Pierre, située plus haut que l’église du même nom proche de la tour de Galata (remplacée actuellement par de l’artisanat)
3. le demi-pensionnat de la rue İmam, donnant sur la rue de Pera (l’actuelle İstiklâl caddesi, du même côté et un peu avant le Consulat général de France actuel).

C’est de ce dernier établissement que Frère Vauthier devient directeur, Immédiatement il cherche des solutions aux difficultés financières de fonctionnement. Il obtient pour cela, la permission d’ouvrir un pensionnat. Ne trouvant pas de terrains du côté européen, il acquiert, en 1863, le terrain actuel du lycée Saint-Joseph. Ne pouvant construire immédiatement il loue l’hotêl Baltacı, à Moda, situe entre la mer et l’actuelle Moda Mektep sokağı. Il ouvre le 12 Mai 1864 et devient directeur du pensionnat. Il est remplacé, rue İmam, par Frère Hugonis. Ce dernier devient directeur des deux en 1868 tandis que frère Vauthier est rappelé en France, en 1869.

Des lors les événements vont se bousculer. Le pensionnat doit quitter l’hotêl Baltacı en 1869 et s’installer vaille que vaille, rue İmam. Mais le 5 juin 1870, un violent incendie détruit tout le quartier avec le collège de la rue İmam, et une école gratuite qui avait été ouverte à proximité. Il ne reste plus rien… que la cave et les bouteilles intactes !

Ayant tout perdu, les Frères se replient sur la propriété de Kadıköy et n’ont, pour s’abriter, que la cabane du gardien et celle de son âne. Les permissions nécessaires ayant été obtenues, la première pierre du futur établissement est posée le 16 Août et les classes ouvrent le 2 Novembre. Il s’agit uniquement de la façade actuelle, avec le sous-sol, le rez-de-chaussé et le premier étage, si j’interprète bien la vieille photo que j’ai eu l’occasion de voir. Les fondations et la partie basse sont en pierres; le reste est en bois. La construction en bois, d’ailleurs, a moins de largeur que l’immeuble actuel, qui date de 1895.

En 1867, il y avait 129 internes, dans l’hôtel Baltaci de Moda, encadrés par 20 Frères. Des les premiers temps de l’ouverture de Saint-Joseph, il y aurait eu 110 pensionnaires; et davantage d’externes. Les premiers élèves musulmans sont venus dès la fin du siècle. Il faut compter parmi eux sept fils du général Fuat Paşa, gouverneur de Scutari (Üsküdar). Et c’est sans doute lui qui a obtenu le premier que ses fils puissent profiter de l’enseignement et de l’éducation donnée par les Frères. Frère Imbert Stanislas rapporte que l’un des fils de ce général, ancien élève, était à la tête de la cavalerie turque qui a reconquis Edirne, en Juin-Juillet 1913. Et puisque je suis dans les statistiques : en 1894 (mais Frère Hugonis n’est plus directeur), existent le collège Saint-Joseph et, à proximité, une école gratuite qu’il fait vivre. Cela donne 12 classes et 349 élèves.

Frère Hugonis est donc directeur du collège Saint-Joseph, modeste construction dans laquelle on se serre, au milieu d’un grand terrain. On a fait des emprunts qu’il faut songer à rembourser. Mais il faut en-même temps se préoccuper de mieux organiser l’etablissement naissant. On devine tous les soucis du Frère Directeur.

Et sans doute Frère Hugonis donne satisfaction car, en 1874, il ajoute à ses responsabilités de directeur, celle de Visiteur pour İstanbul et İzmir. Il devient responsable des 6 communautés existantes. Quand il mourra, en 1901, il en aura 36 à visiter. Il est vrai qu’à partir de 1878, il devient responsible de la Turquie à la haute Egypte. Il ne peut plus, à partir de cette date, assumer en même temps la direction du collège Saint-Joseph. Il sera remplacé par Frère Candidus, natif de Rennes, quelque part en Bretagne. Mais, demeurant toujours à Saint-Joseph, il ne cessera de s’intéresser de près à la bonne marche de l’établissement et d’aider les directeurs au milieu de leurs soucis. Il était présent, par exemple, lors du terrible tremblement de terre de 1894 dont le collège, heureusesent, eut très peu à souffrir.

Il a aussi été l’artisan, souvent important, des agrandissements qui ont amélioré le fonctionnement du collège. Voici succintement :

en 1872 : l’aile sud-est, derrière le bureau du sous-directeur de lycée, jusqu’au 1er étage;

en 1874 : l’aile sud-ouest; avec la chapelle;

en 1876 : le préau, à la suite de la chapelle (actuellement salle de sport); et un autre préau, à la suite de l’aile sud-est (à l’emplacement de la cantine actuelle du lycée, me semble-t-il).

Le total des travaux, de 1870 à 1876, a coûté la somme de 179000 francs de l’époque. Mais on a déjà vu que la façade sera refaite en 1895.

Depuis la guerre de Crimée (1854-1855), İstanbul devient une ville de plus en plus commerciale. La nécessité d’orienter les études vers les branches commerciales, se fait de plus en plus pressante. Frère Hugonis soutient l’évolution. On commence à s’intéresser aux branches commerciales. On renforce l’enseignement des langues européennes et orientales. Le français étant la langue d’énseignement, on enseigne égalemerst le turc ottoman, le grec, l’arménien, l’anglais, l’allemand, l’italien etc. disent les prospectus.

Des l’époque du Frère Hugonis pour soutenir l’émulation chaque semaine l’on remet à chaque élève un billet imprimé de couleurs différentes pour apprécier la conduite et le travail de chacun.

A une date encore indéterminée; a été ouverte une classe spéciale accueillant des élèves de 16-18 ans, désirant apprendre le français. C’est dans une classe semblable, ouverte à la même époque, à Salonique, que Atatürk a étudié le français sous la conduite du Frère Rodriguez.

Bien sûr, on peut parler des ouvertures d’école opérées pendant le mandat du Frère Hugonis:

en 1871, l’école de Pancaldi, à İstanbul,

en l881, l’école d’Alsancak, à İzmir, et celle de Trabzon,

en 1884, celle d’Erzurum, où il enverra son neveu qui a commencé à Saint-Joseph, en 1870, et où il mourra accidentellement,

en 1886, l’école de Karşıyaka, à İzmir,

en 1892, celle d’Ankara,

en 1897, celle de Feriköy,

en 1898, celle de Bornova, à İzmir,

et en 1901, celle de Göztepe, à İzmir, encore, pour ne parler que des ouvertures en Turquie.

Mais, comment ne pas parler de certains péripétiés survenues durant les voyages du Frère Visiteur, qui nous font souvenir du jeune homme mis à la porte du noviciat, en 1845.

En 1877, lors de sa première visite à Jerusalem, la voiture avait versé en route. Par 35 degré de température, le Frère Hugonis avait fini la route à pied. Une autre fois; encore en se rendant à Jerusalem, la voiture s’était coupée en deux, (que la route devait être douce!): Frère Hugonis parcourut à pied les 15 kilomètres qui restaient.

En 1895, il a 67 ans et se trouve à Jerusalem avec une grave crise de foie. Arrive un télégramme portant un appel urgent. Il entreprend aussitôt un voyage deux jours à cheval pour aller prendre le bâteau à Jaffa.

En 1883, pour l’ouverture de l’école d’Erzurum, il est parti à pied de Trabzon pour un voyage de huit jours. Et ce parcours, il l’a fait plus de vingt fois.

En 1899, il avait une crise de foie, encore une fois. Il part quand même pour Erzurum, mais en compagnie du Frère Pérégrin. Au retour, à Kop Dağı, situé à 70 km d’Erzurum, les voyageurn sont attaqués à main armée. Les voyageurs qui se défendent sont blessés et dépouillés. Les Frères se laissent faire: ils ne sont pas blessés mais se retrouvent en caleçon. Frère Pérégrin réussit à sauver également ses chaussures.

Une autre fois, le cheval de Frère Hugonis est effrayé par un chameau. Il a juste le temps de sauter à terre avant que le cheval ne tombe dans un ravin. Avec beaucoup d’autres récits du même intérêt, on comprenıd que Frère Hugonis soit resté populaire dans la mémoire des Frères, de l’Egypte à la Turquie.

Mais l’âge avance. En 1899, alors qu’il a 71 ans et que les infirmités apparaissent, le district (c’est le nom du territoire que dirige un Frère Visiteur), est divisé en trois. On laisse à Frère Hugonis celui de Turquie. Malgré une faiblesse croissante, Frère Hugonis, un peu meurtri, continue à se démener courageusement. C’est ainsi que, refusant de s’arrêter, il mourra le samedi 3 Août 1901, sur le bâteau qui l’emmène d’İzmir à Rhodes. Il sera enterré à Chio, en face de Çeşme. Il repose aujourd’hui dans le caveau des Frères, à İzmir.